En quête de performance : plus fort sous compléments ?

Le bruit des poids en métal résonne dans cette grande salle, remplie d’adhérents venus s’exercer. Nous retrouvons Sabri Djelassi durant l’un de ses entraînements.

“Je m’entraîne quatre à cinq fois par semaine en plus de mon travail à la salle. Je consomme des compléments alimentaires et principalement de la créatine”, confie Sabri, entre deux séries d’exercices. “La créatine prépare les fibres musculaires à l’effort, aide à récupérer et augmente la masse musculaire”.

La pratique de la musculation s’est largement démocratisée ces dernières années. Selon l’étude annuelle du cabinet d’audit international Deloitte et EuropeActive, l’association européenne de la santé et du fitness (EHFA), le nombre de pratiquants de musculation dans les salles de sport s’élevait à 6,2 millions en France en 2021. Ils étaient 5,7 millions en 2017. La France est le troisième pays européen (juste derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni) sur le marché du fitness avec un chiffre d’affaires global de 2,6 milliards d’euros.

Pendant plusieurs semaines, notre équipe a enquêté sur la consommation des compléments alimentaires, par les pratiquants amateurs de musculation, dans un objectif de performance sportive.

Pour comprendre ce qui amène des pratiquants amateurs à se complémenter, nous avons rencontré Bérénice Tanguy, diététicienne au sein de la licence Physiomins à Brest ; deux pratiquants amateurs Sabri Djelassi et Antoine Gobin mais également Maxence Damarey et Matthias Gergaud, fondateurs des marques Ozers et Bioptimal, spécialisées dans les compléments alimentaires naturels.

D’après Vladimir Nikolaevich Platonov, scientifique ukrainien spécialiste en science du sport, la “performance sportive exprime les possibilités maximales d’un individu dans une discipline à un moment donné de son développement”. La performance est perçue comme le dépassement de soi, dans la pratique amateure comme professionnelle. La prise de compléments alimentaires permettrait un gain de performance lors de l’activité physique, notamment chez les pratiquants de musculation.

Interrogé par le journal l’Equipe, le diététicien Romain Thomas explique qu’un complément alimentaire “correspond à un apport nutritionnel pour répondre à un besoin physiologique (comme compenser une insuffisance d’apports), afin d’atteindre les apports conseillés au quotidien”. Il existe trois catégories de compléments alimentaires : ceux destinés à la santé, à la performance et à la récupération. Les deux dernières catégories se complètent, la récupération étant un point essentiel pour performer.

Atteindre un idéal de performance

La consommation des compléments alimentaires impacte la performance selon la catégorie de compléments consommés. Celle-ci est choisie en fonction des objectifs de chaque pratiquant. 

Pour 55% des sportifs interrogés, la récupération et le gain de masse musculaire sont les facteurs primordiaux de la consommation de compléments alimentaires. Ici, les pratiquants souhaitent combattre la fatigue musculaire et atteindre un idéal esthétique ou de performance.

Mais si ces deux raisons restent majoritaires, ce ne sont pas les seules. Une partie des athlètes consomment des compléments alimentaires dans l’unique but de performer davantage.

Selon l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP), la performance est, chez 10% des sportifs réguliers, le premier ou second motif de pratique sportive.

Les données recueillies ci-dessus témoignent de cette volonté de performance chez les sportifs amateurs et consommateurs de compléments alimentaires. Elle est plus importante que pour les sportifs qui ne se complémentent pas. En marge de la performance, certains pratiquants font du sport pour conserver une bonne santé (33% selon l’INJEP).

La valse des compléments

La diversité des produits existants répond à une multitude de motivations à se complémenter. Chaque type de complément alimentaire possède des apports nutritionnels précis. Nous nous intéressons ici à la créatine, la whey protéine (protéine en poudre issue du lait de vache, aussi appelée lactosérum), les pré-workout, les acides aminés (BCAA) et les protéines animales et végétales.

Il y a d’abord les produits composés en majorité de protéines. Ces produits seront digérés et utilisés de la même manière par l’organisme. Ensuite, les acides aminés, BCAA et la créatine peuvent être regroupés. Comme vu précédemment, ces compléments alimentaires sont tous deux des acides aminés et sont consommés pour améliorer la récupération en agissant directement sur la construction musculaire.

« Une consommation excessive comporte des risques »

La consommation de compléments alimentaires est obligatoirement régulée. Leur production et leur vente sont contrôlées par des lois européennes : les ingrédients autorisés sont donnés dans l’article 4 du décret n°2006-352 du 20 mars 2006. Les nutriments, les substances à but nutritionnel, les plantes, additifs et arômes autorisés dans l’alimentation normale et les ingrédients utilisés traditionnellement dans l’alimentation humaine sont acceptés. L’étiquetage des compléments alimentaires doit correspondre aux dispositions générales applicables aux aliments, notamment le règlement pour l’Information du consommateur (INCO). Les dosages recommandés sont indiqués sur les emballages de chaque produit et les compléments alimentaires ne peuvent pas être confondus pour des médicaments. Si les marques les respectent, les consommateurs ne le font pas systématiquement. Dans notre sondage, 25% des sportifs indiquent ne pas respecter les dosages recommandés. “Cependant, une consommation excessive comporte des risques”, explique Bérénice Tanguy.

En ce qui concerne les pré-workout, la majorité des produits présente un taux d’environ 2300 mg de caféine pour 100g. Les risques d’addiction et d’accommodation existent. Le consommateur doit alors augmenter ses doses pour ressentir des effets similaires. Il est d’ailleurs fortement déconseillé par de nombreux professionnels du sport de consommer du pré-workout régulièrement sur le long terme. Il est préférable d’en prendre seulement sous forme de cure ponctuelle. Chaque organisme réagit différemment à la prise de compléments alimentaires. Certains les tolèrent difficilement et sont sujets à des désagréments (démangeaisons, trouble du sommeil…). Bérénice Tanguy indique aussi que « couplée à une activité sportive, la consommation de pré-workout peut être un facteur favorisant l’apparition d’hypertension ».

Pour ce qui est de la créatine, le danger principal est un “engorgement des voies rénales » poursuit Bérénice Tanguy. Ce complément provoque une rétention d’eau au niveau des muscles, au détriment des tissus non musculaires. Lorsqu’on en consomme, il est indispensable de s’hydrater convenablement pour partiellement compenser cet effet. Ce complément reste donc fortement déconseillé chez les personnes atteintes d’insuffisance rénale ou cardiaque.

La consommation de protéines en poudre n’est pas sans risque non plus. “Ce complément est créé à base de protéines de synthèse. A la différence des protéines normales, celles-ci ne présentent aucune fibre naturelle”, affirme la diététicienne. La digestion de ce complément sera alors beaucoup plus rapide et pourra perturber le métabolisme si consommé à trop forte dose. “Le risque serait une acidification des intestins voir même l’apparition d’une insuffisance rénale ». Si l’assimilation de protéines joue un rôle essentiel au développement musculaire, des sportifs peuvent trouver dans les protéines en poudre un moyen plus facile d’atteindre leur apport protéique. Cependant, il est erroné de penser que cette complémentation est une alternative à un repas riche et équilibré. 

Au-delà de ces risques intrinsèques aux différents compléments, la composition de ces derniers peut aussi présenter un danger. Nous pouvons évoquer la présence d’additifs tels que des “conservateurs ou anti-agglomérants” précise Bérénice Tanguy. De nombreuses études scientifiques ont d’ailleurs établi un risque cancérigène quant à la consommation de ces substances, présentes dans bon nombre d’aliments de provenance industrielle.

Pour certains pratiquants, sensibles à ces risques, une partie de la solution est de se tourner vers les compléments d’origine végétale et biologique.

62% des sportifs favorisent les produits bio

La consommation de compléments alimentaires a progressé ces dernières années. En atteste l’évolution du marché ces dix dernières années. 

Une partie des consommateurs adopte en plus une nutrition plus saine et soucieuse de l’origine des produits. Cette tendance se confirme sur le marché des compléments alimentaires liés au sport. En témoigne Antoine Gobin : “J’achète de préférence des produits français et systématiquement des produits d’origine biologique ou végétale”. D’après notre sondage, 62% des sportifs interrogés affirment favoriser des produits d’origine biologique, naturelle et française.

Maxence Damarey est fondateur de OZERS Nutrition et commercialise aujourd’hui un produit de post-workout naturel, composé notamment de spiruline, de protéines et de magnésium. “Ne trouvant pas mon bonheur sur le marché des compléments alimentaires, j’ai développé une alternative 100% vegan”. Toujours dans un objectif de performance, son produit veut répondre à des besoins alimentaires, chez les sportifs.
Matthias Gergaud est, quant à lui, directeur et fondateur de l’entreprise familiale Bioptimal. Il évoque un “changement de mentalité par rapport au bio”. “Il y a une dizaine d’années, il y avait 30% d’offres de compléments alimentaires biologiques sur un marché grandissant quand la demande, elle, était aux alentours de 70%”. “Un marché d’avenir qui ne cesse de se développer” à l’image du marché biologique global.

Pour ces deux entrepreneurs de la nutrition, aucun doute, la protéine végétale possède de nombreux atouts. D’abord au niveau de la digestion : certains pratiquants et consommateurs ne supportent pas la protéine de lait, souvent digérée lentement et difficilement par notre organisme.  D’autres compléments naturels, comme la spiruline, ont de nombreux bienfaits pour le corps tout en ne présentant que très peu de risques. Elle permet une meilleure oxygénation pendant l’effort ainsi qu’une meilleure récupération. “La spiruline est l’article phare de nos ventes. C’est d’ailleurs le produit avec les meilleurs retours”, appuie Matthias Gergaud.

“La plupart des sports ont une vision archaïque de la nutrition. De nombreux sportifs ne comprennent pas l’intérêt de bien s’alimenter”, commente Maxence Damarey.

Mais si, dans les faits, consommer naturel et bio lui paraît évident, le simple manque de compréhension de la part des sportifs semble réducteur. Le prix de ces compléments est un facteur à prendre en compte.

Pour 1kg de créatine, comptez en moyenne 87€

La consommation de compléments alimentaires devient rapidement onéreuse. Pour 300g de spiruline, il faut compter en moyenne 25 euros lorsqu’une protéine de synthèse coûte en moyenne 15 euros. “Je prends 7 gélules de créatine par jour pendant les repas, sur des cycles de 3 mois », explique Sabri. « Mes dépenses sont limitées, je préfère donc mettre de l’argent dans des produits qui me semblent fiables. Pour 400 gélules, je dépense en moyenne 29,95€ ; cela revient à 60€ tous les 3 mois ». Ces dépenses sont conséquentes pour des sportifs amateurs, principalement jeunes.

Comme illustré ci-dessus, les compléments alimentaires d’origine naturelle sont généralement plus chers que les compléments alimentaires d’origine non naturelle. Selon les commerçants de compléments alimentaires naturels, les sportifs font face à un dilemme. Consommer des produits non-naturels à moindre coût en s’exposant à de potentiels dangers ou bien ne consommer que des produits d’origine naturelle pour préserver leur santé. Mais lorsque ce débat se pose, une troisième possibilité est laissée de côté : ne pas consommer de compléments alimentaires.
Pour Maxence Damarey, “les compléments alimentaires sont indispensables lorsque l’on fait beaucoup de sport. Ils apportent un besoin supplémentaire en nutriments, essentiel pour performer”. Du côté de Bérénice Tanguy, le constat n’est pas le même. “Dans une pratique amateure, une supplémentation n’est pas forcément obligatoire”. Elle ajoute ainsi qu’il “n’est pas nécessaire de surcharger son organisme de compléments alimentaires, une alimentation saine suffit”.

De plus en plus de sportifs amateurs déclarent se complémenter dans le cadre d’une pratique en salle de sport. Une habitude qui se généralise au profit d’une industrie, toujours plus encline à proposer des produits censés augmenter les performances de chacun. Dans ce contexte, des jeunes pensent à tort que consommer des compléments alimentaires feront d’eux des “supers-athlètes”. Si les effets de ces compléments semblent avérés, les industriels peuvent sur-vendre leurs produits dans une logique de profit. D’autant que les effets escomptés peuvent varier en fonction des profils et des morphologies de chacun. “J’ai consommé de la créatine quelques semaines. Je n’ai pas trouvé cela pertinent pour moi à ce moment-là, je n’ai pas remarqué de changement”, explique Antoine Gobin. Son exemple illustre la réalité des compléments alimentaires.

Dans une course à la performance effrénée, la consommation de compléments alimentaires reste étonnement cantonnée à des disciplines comme la musculation ou le crossfit. Historiquement source de méfiance, la complémentation demeure “un sujet tabou en France” reconnaît Sabri. Se complémenter est utile dans un objectif de performance si le sportif adopte une alimentation saine, respecte les doses requises et reste alerté des risques. Et si, bien sûr, l’organisme du sportif est réceptif.

Audrey Leroux, Bartimée Gelamur, Antoine Durand, Thibaud Jouffrit