Brisons le tabou du sexe en EHPAD à coups de déambulateur !

Ils s’appellent Estelle, Roger, Jean, Marie, Yvonne, tous sont amoureux, ont été amoureux, et tentent de concilier leur amour avec leur nouvelle vie. C’est auprès d’eux que notre regard sur la vie intime en EHPAD s’est affiné. Ils ont vite balayé de leurs risettes équivoques nos préjugés sur cette question. On sort toujours grandi de l’amour. Ce sentiment intemporel qui ne s’arrête pas aux frontières de l’âge mais qui au contraire, prend une forme nouvelle.

Des obstacles à l’intimité

La croyance que le palpitant s’éteint aux portes de l’EHPAD est une pensée courante pour ceux qui restent effrayés par cette dernière étape de la vie. Une vie qui souffre pourtant de tous les adages de l’intimité dans une complexité renouvelée.

Il est donc important de dire que oui, nos anciens continuent d’aimer, d’exprimer leurs désirs, de baiser ! Ils aiment avec ferveur, s’abîment avec folie. Ils s’enivrent de vivre ! Difficile cependant pour le personnel soignant, pour la famille, de laisser libre cours à des pratiques et des envies qu’ils tentent pour beaucoup de dissimuler. On avance pourtant !

En France, environ 600 000 personnes vivent en EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) mais entre la vie en collectivité, la nécessité des soins, la décrépitude des corps ou la prudence face aux déconvenues, mener à bien ses désirs relève parfois du parcours du combattant.

Roger* et Marie* ont 180 bougies au compteur. Quand on demande au couple s’ils continuent de ressentir du désir sexuel, la réponse a de quoi surprendre. « Ce n’est pas l’envie qui nous manque », répond Marie amusée par la question. Après plus de 60 ans passés l’un à côté de l’autre, ces deux jeunes âmes ont su faire évoluer leur couple. Touchés par des difficultés sur le plan de la mémoire, ils sont incapables de se souvenir depuis quand ils sont arrivés au sein de l’établissement, d’où leur euphorie des premiers jours. « Fraichement débarqués », ils n’ont pas encore eu le temps de s’essayer aux choses de l’amour. Cela fait pourtant près de 2 ans qu’ils résident en EHPAD. L’âge avançant, l’intimité se transforme en tendresse.

« On continue de s’embrasser chaque matin et chaque soir avant d’aller se coucher quand même », explique-t-elle entre deux sourires. Toujours à l’affût de quelqu’un frappant à leur porte, ces derniers craignent d’avoir à peine le temps de se rhabiller que le personnel soignant pénètrerait dans leur logement. Face à ce genre d’aléas, difficile de construire une vie intime relevant du plaisir charnel.

Pour Jean*, la sexualité est une affaire du passé. Résident depuis une dizaine d’années, il a dû apprendre à vivre seul suite au décès de son épouse. « On vivait dans des chambres séparées, je lui apportais des gâteries. Je savais qu’elle aimait les raisins alors je lui en apportais. Ce n’était pas le grand amour comme quand on est chez soi. Quand vous vieillissez, il y a beaucoup de choses qui ne vous intéressent plus physiquement. Je me fous de plaire désormais, ma femme est décédée il y a 4 ans ».

Amis avant d’être amants Yvonne* et Paul* ont toujours vécu ensemble. Partageant d’abord un même toit lorsqu’ils étaient voisins durant leur enfance, ils ont fini par se marier et n’ont jamais pu se séparer. Après quelques difficultés de santé, ils ont tous deux choisi de rentrer en EHPAD. Leur maison puis leur véhicule vendus, ils sont désormais des locataires à pleins temps d’un logement qu’ils partagent depuis deux ans.

« On ne vit plus la sexualité à 80 ans comme on la vivait à 20 ans. Aujourd’hui je fais plus attention à l’intensité de son regard, sa façon de me tenir la main. On a passé l’âge pour cela vous savez », explique Yvonne. « Je l’aide comme je peux et nous faisons tout pour rester ensemble, c’est le plus important pour nous ». De leur logement jusqu’à la pièce de vie, une rambarde fixée au mur est là pour faciliter les déplacements des habitants. Yvonne sert aussi de troisième jambe à son époux lorsque le corps endoloris de Paul le fait souffrir. C’est dans ces moments que la tendresse prend toute son importance. Plus question de sexualité pour eux donc mais un regard affectueux sur un passé qui continue de les lier. L’an dernier, les deux amants ont même décidé symboliquement de renouveler leur union. Une robe prêtée par une femme de l’équipe soignante et un repas de fête plus tard et les voilà remariés devant l’ensemble de leurs compagnons de vie.

Leur histoire est celle d’un cœur chaud qui tente de concilier le handicap, l’amour et une absence d’expression parfois lourde à supporter.

Des problèmes de santé, c’est aussi ce qui a conduit Estelle à se tourner vers un EHPAD. A 90 ans, elle est entrée suite à un AVC qui l’a complètement paralysée du côté gauche et lui a ôté son autonomie. Deux ans plus tard, elle ne parvient toujours pas à accepter cette mobilité réduite qui l’oblige à se déplacer en fauteuil et à dépendre d’autrui. « Jusqu’à mon accident, mon mari et moi avions maintenu notre vie intime. Aujourd’hui, on mange et on vit séparément. Mon mari m’aide et vient me voir tous les jours depuis qu’il est arrivé ici. Il s’inquiète toujours pour moi et moi pour lui. On s’arrange pour se voir même si on vit dans des chambres séparées mais on est beaucoup moins libre qu’à la maison ». Cette femme, bloquée dans sa chaise roulante veut tout de même se faire belle pour plaire à son époux. Elle choisit les vêtements qu’elle souhaite porter et grâce à l’aide des infirmières, elle continue le jeu de la séduction.

La révolution dans l’accompagnement

La population vieillit, le nombre de résidents en EHPAD va croissant et l’évolution des mentalités forcent les équipes de soignants ainsi que les familles à changer leur regard sur l’intimité des résidents.

D’après Nicolas, infirmier coordinateur en EHPAD : « Il y a une peur chez les soignants du dérapage. C’est une thématique assez tabou en France dont on parle assez peu et qui renvoie à sa propre sexualité ».

Il est difficile de trouver des chiffres éloquents sur la sexualité en EHPAD mais la demande est bel et bien présente. Avec près de 80% de femmes, les EHPAD sont vues comme un eldorado pour certains résidents qui y voient l’occasion de trouver quelqu’un.

« Un résident m’a dit un fois, moi je me cherche une femme ! », explique Nicolas amusé.

Ce désir qui continue d’avoir cours en EHPAD poussent les accompagnants à se questionner sur le plan éthique de la question du consentement. Dès lors que deux résidents montrent des formes d’affection, le principe de liberté prédomine mais lorsque quelqu’un est jugé en position de faiblesse sur le plan cognitif, il est souvent difficile de savoir comment réagir.

« Un jour, une personne présentant des troubles cognitifs est tombée amoureuse d’un monsieur sans troubles au sein de l’établissement. Il y a eu une demande pour plus d’intimité et les équipes étaient très inquiètes du fait que le monsieur puisse abuser de la personne. J’ai donc dû rassurer les équipes car il y a beaucoup d’affect de la part des soignants qui imaginent leurs parents dans cette position », relate Mélanie, psychologue en EHPAD.

Est-ce qu’on se doit d’informer les enfants, quels droits on a d’informer la famille, sont des questions récurrentes qui nourrissent la réflexion du personnel soignant. 

« Dans cette situation, j’ai rencontré la fille de la résidente qui avait déjà perçu la relation et a apprécié qu’on vienne lui parler. Elle ne savait pas quoi en penser et après notre entretien, elle a tout à fait accepté la relation. Le monsieur a quant à lui informé sa fille et cela c’était arrêté là. Beaucoup d’interprétations sont possibles et l’intimité est à préserver tout en maintenant la vigilance vis-à-vis des troubles. Avec ses troubles de la mémoire, dès qu’elle ne voyait pas le monsieur elle n’arrivait pas à assimiler le fait qu’elle avait une relation avec lui. Les soignants avaient donc de grosses difficultés à interpréter la situation mais dès lors que je leur ai expliqué que j’allais rencontrer tout le monde, ça a permis à l’équipe d’être rassurée ».

Un profond questionnement éthique persiste sur le fait de prendre la décision de mettre en place des mesures d’éloignement au sein des EHPAD.

« Lorsque j’étais animatrice, j’ai eu une autre situation où il y avait une relation entre un homme et une femme mais la famille de la dame n’avait pas accepté cette situation alors même qu’elle n’était pas sous tutelle. Elle a demandé à la direction de bloquer toute relation avec ce monsieur et la direction a répondu positivement en changeant les placements de tables et en mettant en place des mesures d’isolement. Ils ont donc arrêté de se parler, ont cessé de passer des après-midis ensemble. Le monsieur l’a très mal vécu. Il s’est renfermé sur lui-même, ne participait plus autant aux activités et était dans l’incompréhension totale. Certains membres de l’équipe encadrante se sont opposés à ce choix mais la direction n’a pas écouté », se souvient Mélanie.

Lorsque la famille explique que ce genre de mesures sont nécessaires pour protéger un parent, la direction n’a pas à se justifier.

Entre respect de la vie privée et nécessité d’instaurer un dialogue sain avec la famille, aborder la question de l’intimité n’est jamais une mince affaire. Le duo psychologue-infirmier coordinateur est fondamental pour faire face à cette problématique. L’infirmier-coordinateur assure la gestion du personnel, coordonne les soins, fait le lien entre les résidents, les soignants et la direction tandis que le psychologue s’affaire aux questions plus sensibles relevant de l’intime et est là pour jauger les capacités cognitives des résidents.

« Il n’existe pas de nomenclature type pour traiter de cette question, c’est du cas par cas. Chaque résident, chaque famille, chaque soignant et chaque établissement a sa propre vision et ses propres ressentis », explique Nicolas.

« Ça arrive dans l’ascenseur »

Des formations sont de plus en plus nombreuses pour faire face à la problématique de la l’intimité et de la sexualité même si celle-ci passe souvent en arrière-plan par rapport à des préoccupations telles que les soins palliatifs.

Dans certains établissements, des réunions à thèmes, pluridisciplinaires, sont organisées afin de réajuster les démarches d’encadrement et de fixer un cadre commun aux soignants.

« Tous les quinze jours, on s’exprime entre les différents services et étages de l’établissement avec les encadrants et la direction. Sur la question de la sexualité, on ne passe pas par quatre chemins. On aborde la question des attouchements, de l’exhibition, des paroles crues ou du consentement. On est confronté à différents publics, notamment des personnes touchées par des situations de démence alors on tient une fiche d’évènement indésirable afin de garder toute trace de débordement de la part des résidents et d’en discuter en réunion pour trouver les meilleures solutions à apporter », raconte Rose*, infirmière en Ehpad.

Des formations, des colloques sur initiatives sont organisés régulièrement avec des médecins, avocats, psychologues, soignants, pour discuter de cette thématique un peu partout en France. Mais la question de la sexualité reste encore un sujet tabou qu’il faut démystifier.

Infirmière-coordinatrice en EHPAD depuis 4 ans, Emmanuelle* explique la chose suivante : « Un monsieur nous a exprimé un jour le besoin de se masturber et d’avoir des érections. Nous avons donc pris contact avec un médecin et ce dernier a répondu favorablement à notre demande. Les résidents sont libres mais encore faut-il qu’ils puissent être autonomes. C’est un sujet que l’on doit aborder au même titre que l’alimentation ou les soins mais c’est encore assez minoritaire et dépend beaucoup de l’intérêt que l’on porte à la question de la sexualité ».

Plusieurs solutions sont pensées. Entre l’usage de magazines, vidéos pornographiques, sextoys ou encore de poupées gonflages, les idées ne manquent pas pour accompagner les besoins individuels.

« On a une femme qui se touche seule, parfois dans sa chambre mais aussi dans différents endroits de l’établissement. Un monsieur refusait que l’on vienne faire sa toilette s’il n’avait pas fait son affaire. Les dvd ou magazines peuvent conduire à une amélioration ou à une dégradation donc il faut toujours s’interroger sur notre accompagnement », explique Lucie*, infirmière.

« Cela arrive dans l’ascenseur. On laissait faire les résidents concernés car le temps que l’ascenseur monte ou descende, c’était fini. C’est du cas par cas. On tente de leur expliquer simplement en leur proposant d’aller chez eux pour faire ce genre de choses. ».

La question de l’encadrement et du respect des règles de vie en communauté est très marquée. En effet, certaines infirmières sont concernées par des comportements déplacés qui émanent majoritairement de résidents masculins. Quelques cas d’agressions sont soulevés et le rappel à la loi est parfois nécessaire. C’est en ce sens que toute trace d’agression est gardée par les établissements afin de protéger le personnel soignant. L’accompagnement de la vie sexuelle des résidents est donc primordiale pour éviter ces risques de débordements mais aussi et surtout pour assurer aux résidents l’épanouissement qui leur est due.

Avec l’arrivée des Soixante-huitards et la libération sexuelle qui en découle, la thématique de la sexualité en EHPAD n’a donc pas fini d’animer les passions qui seront tout sauf tristes.



*Afin de préserver l’intimité des résidents, nous avons usé de noms d’emprunts.