Valoriser, ce n’est pas jeter : le cycle de la pomme

Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’impliquait le fait de jeter une pomme à peine entamée à la poubelle ? Vous n’aviez pas très faim et puis, de toute manière, ce n’est qu’une simple pomme. Tous Français en consomme et en jette. Pourtant, chaque année en France, 10 millions de tonnes de déchets organiques sont produits selon l’Ademe (Agence nationale de la transition écologique). Si cette masse vertigineuse a de quoi faire pâlir, l’organisme estime également qu’1,5 millions des supposés déchets sont en réalité encore consommables.  

Avant d’être mise à la poubelle, cette pomme à dû être produite, conditionnée puis acheminée jusqu’à votre domicile. Au total, cette négligence alimentaire représente 10 millions d’émissions de CO2 émis en trop dans notre atmosphère. Afin d’assurer un avenir décent aux futures générations, la France comme le reste du monde doit garantir une meilleure gestion des ressources offertes par notre planète. Lutter contre le gaspillage alimentaire représente dès lors un des défis majeurs pour les prochaines décennies car ce fléau touche l’ensemble de la société, du producteur au consommateur. Ce combat ne se limite pas à une nouvelle gestion de nos déchets. Ne pas gaspiller, c’est également valoriser les excédents alimentaires. Cette même pomme à peine entamée aurait pu être compostée et les parties non consommées préservées pour un futur encas. Par des lois, des initiatives personnelles, de nouveaux modes de consommation, chaque acteur tente à son échelle de proposer de nouvelles initiatives afin d’endiguer ce phénomène.  

L’arboriculture : la source de la lutte contre le gaspillage alimentaire

La pomme, c’est avant tout une histoire d’amour à la française. Patrimoine nationale, on en consommait déjà lorsque Rome envahit la Gaule ! Aujourd’hui la pomme se décline sous des formes multiples, du cidre à la tarte. Plus de 37 560 hectares sont à ce jour consacrés à sa culture sur le territoire selon une étude menée en 2020, par les équipes du ministère de l’agriculture. À l’échelle du Maine-et-Loire, la pomme est une institution, un symbole culturel. Elle est surtout un moteur de l’économie régionale. Les producteurs, en première ligne face au gaspillage alimentaire, tentent d’apporter un nouveau regard sur leur profession en valorisant leurs productions.  

La valorisation, le cheval de bataille des arboriculteurs  

Valoriser ses récoltes, voilà l’un des enjeux essentiels pour réduire le gaspillage alimentaire durant la phase de production. La valorisation fait désormais partie intégrante des politiques de productions arboricoles. Les producteurs sont soumis à une réglementation ferme provoquant des pertes non-négligeables : « Nous sommes assujettis à un nombre très important de normes, notamment à cause de l’Union Européenne en ce qui concerne la commercialisation de nos pommes. C’est pourquoi il me semble plus que nécessaire de valoriser nos pertes qui sont tout à fait comestibles. » clame Christophe Moulard, producteur indépendant implanté à Craon, en Mayenne. Les pertes sont difficilement quantifiables pour l’ensemble des arboriculteurs. Dans une profession où les rendements sont régis par les conditions climatologiques, chaque arboriculteur à un taux de perte spécifique. Qui plus est, ces pertes varient d’année en année, de telle sorte qu’elles ne sont pas quantifiables. Toutefois, le ministère de l’agriculture estime qu’elles représentent un peu plus de 32% des émissions de CO2 évitables (Ademe 2016).  

« La valorisation de mes produits est obligatoire si je veux continuer à vivre de ma profession. »  Christophe Moulard 

D’autre part, les pommes écoulées auprès des grandes surfaces permettent d’apporter un regard encore plus critique sur le gaspillage des denrées. Pour Hervé Fougeray dont l’exploitation est basée au Lion d’Angers dans le Maine-et-Loire, aucun doute, ce sont bel et bien les grandes surfaces qui gaspillent le plus. Et pour cause : « les consommateurs touchent sans arrêt les pommes qui peuvent ainsi pourrir ou être impropre à la consommation et donc retirées des rayons. Les supermarchés rencontrent également de nombreux problèmes avec leurs chambres frigorifiques qui peuvent s’avérer défectueuses, ce qui favorise le développement de maladies qui entrainent la perdition des produits. » se désole le producteur.  

Sur son exploitation de 15 hectares, l’arboriculteur produit pas moins de 600 tonnes de pommes par an. Crédit : Domaine Duclos-Fougeray

Un enjeu économique notoire 

Au-delà de ce problème d’émissions excédentaires de gaz à effet de serre, ces pertes constituent un manque à gagner crucial pour les arboriculteurs. Décliner sous toutes les formes possibles sa production n’est pas qu’une question d’impact environnemental. C’est avant tout une question de survie professionnelle : « Je produits annuellement 1200 tonnes de pommes pour un taux de pertes estimé à 5%. Afin de compenser ces restes de production, je vends ces pommes à des éleveurs de chevaux et de vaches situés à quelques kilomètres de mon exploitation. Ce système est plus que nécessaire car il me permet d’assurer la survie financière de mon exploitation. » comme l’explique Hervé Fougeray. Ce manque à gagner est d’autant plus affligeant, car le secteur connaît depuis quelques années une situation difficile. Bien qu’elle reste importante, la surface consacrée à l’exploitation de la pomme a été divisée par deux entre 1992 et 2021, passant de 74 600 hectares à 37 300 selon le président de la coopérative Pomanjou, James Launay.  

Pour James Launay « la valorisation des pommes est urgente afin d’endiguer ce phénomène ». Crédit : Innatis

À l’instar d’Hervé Fougeray, nombreux sont les producteurs à multiplier les alternatives économiques afin de valoriser au mieux leurs productions et donc réduire l’impact du gaspillage alimentaire.

Les arboriculteurs se mobilisent donc fortement à leur échelle et recourent à des solutions très concrètes afin de valoriser leurs invendus. Ces derniers sont réintégrés de la meilleure manière possible au sein de la chaîne alimentaire. Leurs actions contribuent à lutter contre le gaspillage des produits tout en assurant la rentabilité financière de leurs exploitations.  

De la pomme confite à la tarte tatin, la pomme est également très appréciée des chefs cuisiniers. Or, la restauration fait aussi front dans cette lutte contre la surconsommation des produits. Les restaurateurs doivent ainsi répondre à des problématiques éparses et ne jouissent pas des mêmes conditions dans l’accès aux solutions anti-gaspillage.   

Une croisade culinaire face à la surconsommation

Une fois par semaine, par mois voire par année, nous sommes tous friands d’un moment passé au restaurant, dégustant des mets concoctés par des cuisiniers aguerris. Plus qu’un simple lieu où l’on vient se remplir l’estomac, le restaurant est avant tout une expérience unique, propre à chaque établissement. Des décors où s’entremêlent mille et une odeurs, tantôt celle d’un plat tout juste sorti du four ou celle d’une tarte aux pommes à peine démoulée. Des plats les plus raffinés aux portions les plus gourmandes, les restaurateurs font tout pour combler vos papilles. Pourtant, qui n’a jamais eu un pincement au cœur en renvoyant dans les cuisines son assiette à moitié pleine. Qui durant son enfance n’a pas eu le droit au traditionnel sermon parental lorsqu’il lui restait de la nourriture dans son plat. Toutefois, à contrario de vos parents, une peur persiste chez certains restaurateurs selon une étude menée par GIRA food service : certains restaurateurs craignent encore le retour d’une assiette vide.  

Un problème de mentalité aux répercussions insoupçonnées

Qu’on ne s’y trompe pas, les pertes alimentaires dans la restauration sont avant tout le fruit d’un problème de mentalité encore trop ancré chez les professionnels de la restauration. Bien que les mœurs laissent entrevoir une réelle prise de conscience accrue vis-à-vis des enjeux environnementaux, la peur d’une assiette vide persiste encore trop chez certains restaurateurs. Pour ces établissements, une assiette vide est synonyme d’un client ayant encore de l’appétit. Dans l’œil du cuisinier, vous n’avez pas mangé à votre convenance. De fait, ces derniers ont tendance à surcharger les portions, quitte à engendrer des pertes alimentaires. Au premier coup d’œil, la solution semble simple : réajuster les portions servies en salle. Plus facile à dire qu’à faire car chaque client est différent et de fait n’a pas le même appétit. Pour une même portion proposée, une assiette peut revenir vide comme à moitié pleine. Aux Variétés, une brasserie située sur le boulevard Foch à Angers, les assiettes défilent en fin de service. Sur fond de jazz, les serveurs effectuent leur balai quotidien entre salle et cuisine arrière pendant que les clients profitent de leur café. On ne peut que remarquer l’hétérogénéité des quantités de nourriture restantes sur les assiettes : « On n’a pas cette peur de l’assiette vide. On demande aux clients s’ils ont mangé à leur convenance, avoir un échange avec eux est important. C’est une sorte de gratification envers votre travail. Pour autant, il y a toujours des restes mais on n’a pas le contrôle là-dessus. » déclare Eve Mage, patronne de l’établissement. « En général, les fins d’assiettes sont constituées par les frites et les burgers, mais cela dépend de l’appétit du client, s’il mange en grande quantité ou non » ajoute la gérante.  

« Combattre la peur de l’assiette vide est plus que jamais une nécessité. » Florence de Balmon, cogérante du restaurant des Jardins de l’Avenir.


Une assiette revenant à peine entamée a aussi des conséquences économiques non négligeable et représente un taux de pollution important aurait pu être évité durant la phase de transformations des produits. En moyenne un restaurant d’une capacité de 500 couverts par jour produit entre 15 et 20 tonnes de déchets alimentaires par année. En conséquence, le préjudice économique est estimé entre 30 et 40 000€ selon une même étude réalisée par l’Ademe en 2020. Par ailleurs, un repas équivaut à 90g de déchets dont la moitié sont créés au cours de la phase de transformation des produits en cuisine. Pour pallier ces pertes, un grand nombre de restaurateurs répercutent ces coûts sur leur carte et donc directement sur le client ! 

En France, 10 millions de tonnes d’aliments sont gaspillés chaque année dont 20% par la restauration. Source : Statista, 2021.  

Avec des consommateurs de plus en plus attentifs aux enjeux environnementaux, les restaurateurs doivent inévitablement adapter leur fonctionnement afin de s’inscrire dans une restauration durable éco-responsable. Néanmoins, tous ne sont pas égaux dans cette mise au vert.  

Préparer sa transition écologique  

En proposant des alternatives afin de lutter contre le gaspillage alimentaire, les restaurateurs entrent dans une démarche éco-responsable. Mais qu’entend-on par une restauration éco-responsable ? L’éco-responsabilité revient à adopter une conscience des enjeux environnementaux tout en adaptant son établissement à des comportements s’inscrivant dans une logique de développement durable. Se mettre ne relève pas de la même facilité pour tous les restaurateurs. Bien qu’une multitude de solutions s’offrent à eux, tous les restaurateurs ne sont pas égaux dans leur application. Difficulté à trouver un producteur biologique, un emplacement qui ne facilite pas la mise en place d’un composteur, une somme de critères viennent compliquer la transition vers une restauration durable. À Saint Gemmes sur Loire, au sud-ouest d’Angers, les Jardins de l’Avenir ont fait de l’éco-responsabilité le mot d’ordre du projet : « On a une grosse conviction sur l’agriculture biologique. C’est l’identité de l’ensemble du projet et on est très sensible de fait à l’environnement et aux dérives de notre société dans le sens de la consommation et de la non-protection de la planète par certains côtés » rapporte Florence de Balmon, co-gérante du restaurant des Jardins de l’Avenir. Les Jardins de l’Avenir regroupent à la fois un jardin maraîcher en agriculture biologique locale depuis 1974. En libre cueillette, les produits sont également vendus au sein d’un magasin accolé aux terrains composant le jardin. L’ouverture du restaurant est bien plus récente puisqu’elle date du début de la pandémie du covid-19. On y retrouve en majeure partie des produits cultivés sur place. Dans la salle, les décors retransmettent l’atmosphère du lieu. Des lampes entourées de feuilles séchées aux quelques canapés soutenues par des palettes, les valeurs du lieu sont mises en avant. Autour d’une tasse de café, Florence de Balmon revient sur la principale difficulté pour un producteur souhaitant se mettre au vert réside dans la quête d’un producteur biologique de qualité : « être en contact avec un producteur biologique sans être sur une prestation haut de gamme est compliqué, d’autant que beaucoup de prestations haut de gamme ne sont pas 100% biologiques. Les restaurateurs qui sont dans un circuit direct avec le producteur, ils leur restent à trouver un fournisseur bio, encore que trouver un producteur biologique en direct à une distance relativement proche du restaurant reste très compliqué. Travailler en centre-ville complique encore plus la tâche ». Travailler en centre-ville ne complique pas seulement l’acheminement des produits pas un producteur biologique. En effet, en concordance avec l’échéance de 2024, comme pour les particuliers, les restaurateurs doivent se munir avant le 1er janvier 2024 d’un espace de compostage sur le site ou à proximité du restaurant. Bien sûr, cet espace peut être partagé entre différents patrons : « On manque d’espace en centre-ville. Je vois mal en ce moment ou pour être situé ce composteur pour les restaurants présents dans les alentours du boulevard Foch. » déplore Eve Mage, patronne de la brasserie des Variétés. Un problème que l’on retrouve aussi auprès des particuliers.  

Remédier au gaspillage chez les particuliers  

Si la pomme est le fruit préféré des Français, elle n’échappe pas au gaspillage alimentaire au sein des foyers. En effet, selon une enquête menée par l’entreprise Too Good To Go, 42 % du gaspillage alimentaire est représenté par les fruits et légumes. Un chiffre perturbant, d’autant plus quand l’on sait que ce sont les jeunes actifs qui jettent le plus aujourd’hui. Une génération pourtant sensibilisée à la cause… Pour autant, tout n’est pas perdu. En effet, beaucoup d’Angevins se refusent à l’idée de jeter ce qu’ils ont acheté. Du fait de l’inflation permanente des produits, les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir transformer au maximum leurs produits pour des questions de rentabilité. De plus, pour aider les consommateurs, le gouvernement Français propose lui aussi des actions pour lutter face à la prolifération des biodéchets. 

Un basculement des habitudes de consommation 

Au sein de nos foyers, le gaspillage prend évidemment place, trop de place. En moyenne, ce sont 30kg de nourriture qui sont gaspillés chaque année par chaque Français selon l’ADEME. Une famille traditionnelle, souvent constituée de quatre personnes, gaspillent plus de 120kg par années. Un calcul simple pour un constat frappant. Qu’est ce qui permet d’expliquer la perte de telles quantités ? L’une des explications trouve sa source dans les critères de beauté. Ces mêmes critères de beauté qui sont imposés aux producteurs mais également aux commerçants dans une moindre mesure. Au cours de notre vie, nous avons déjà tous surestimé notre consommation hebdomadaire au moment de remplir son frigo. Ainsi, en fin de semaine, certaines des pommes achetées en début de semaine n’ont plus la même tenue. Plus molles ou encore amochées, ces pommes avaient tendance à repousser le consommateur qui finit par les jeter à contrecœur, avec culpabilité. Les critères de beauté tronquent encore la vision du consommateur lambda. La faute aux trop nombreuses publicités qui ont changé le regard du particulier sur la représentation du fruit. Néanmoins, les temps changent, les mœurs se transforment en même temps que les habitudes de consommation.  De plus en plus, les consommateurs se détournent des grandes surfaces pour se rencontrer dans des lieux inspirant une meilleure consommation, quitte à y consacrer une plus grande partie de leur budget mensuel : « Mieux s’alimenter est parfois compliqué pour moi. Mes revenus sont trop restreints pour opter totalement pour une alimentation biologique » rapporte Delphine, interviewé à la sortie du Biocoop située sur le boulevard du maréchal Foch. Néanmoins producteurs et commerçants agissent pour permettre un accès tout public à leurs produits. Au marché situé place Lafayette à Angers, certains proposent des paniers composés de divers fruits et légumes pour seulement 2€. 

Fruits et légumes encore consommables sont proposés à petit prix chez un producteur du marché.  
Crédit : Coralie Drouault / Résonance Angers 

 

Au marché situé place Lafayette à Angers, les épaules se bousculent le mercredi matin. Habitués ou non des artisans et maraîchers présents, beaucoup questionnent leurs habitudes alimentaires « Pour les fruits et légumes je viens uniquement au marché, les produits sont peut-être moins beaux mais ils sont de meilleur qualités » raconte Mathilde, étudiante de 23 ans. Bien qu’il détienne auprès des locaux d’une réputation dite bourgeoise, c’est une véritable tambouille générationnelle qui investit chaque semaine le marché. Tous s’investissent dans une meilleure alimentation, soucieux des enjeux alimentaires et environnementaux : « Je transforme mes pommes gâtées en compotes selon la recette transmise par ma grand-mère. Mes légumes finissent au compost dans le fond du jardin » confie Thomas, ingénieur d’une trentaine d’années.  

Mathilde effectue ses courses au marché place Lafayette. Crédit : Margot Dujardin / Résonance Angers

Un problème de communication 

À compter du 1er janvier 2024, chaque Français devra être équipé d’un composteur ou d’un moins de compostage à proximité de son lieu de résidence conformément à la loi du 10 février 2020. Dès lors, les épluchures de fruits et légumes, coquilles d’œufs ou encore marc de café et filtres ne pourront plus être jetés dans la poubelle verte, servant jusqu’à présent aux déchets classiques. Bien que le composteur face déjà partie de la vie de nombreux citoyens, en particulier dans les milieux ruraux et néo-ruraux, qu’en est-il de l’agglomération urbaine d’Angers ? S’équiper d’un compost lorsque l’on réside en centre-ville n’est pas aussi facile que pour un habitant résidant dans les quartiers pavillonnaires angevins. En arpentant les rues pour interroger les locaux sur cette échéance future, on ne peut que remarquer le manque de communication de la part des autorités, aussi bien l’État que la municipalité d’Angers. Dans les rues, aucun message présent sur les affichages publics : « Si vous ne m’en aviez pas parlé, je ne serais tout bonnement pas au courant » déplore Joris, peintre en bâtiment. Pour sûr, l’agglomération dispose d’un stock d’informations accessible sur son site internet, angersloiremetropole.fr. Des aides sont proposées aux habitants afin de faciliter l’implantation d’un composteur dans leur foyer. Une somme de conseils pour l’installation sont également mis à disposition, imagés par diverses vidéos. Bien que ces problèmes de communication soient une réalité, Angers Loire Métropole recensait lors d’une étude menée en 2021 qu’un tiers des Angevins disposaient déjà d’un bac à compost, ce qui fait d’Angers l’une des premières villes de France dans le domaine. Pour autant, la ville doit rapidement corriger son manque de promotion du composteur. En effet, sur un panel de cinquante individus interrogés dans l’hypercentre angevin, seulement sept d’entre-elles étaient au courant de ces mesures.

  

Passer au compostage, plus facile à dire qu’à faire

Pour les citoyens avertis, un autre problème prend place : l’installation du composteur. En effet, dans le cas où vous résidez dans une résidence partagée disposant par exemple d’une cour intérieure, l’installation d’un composteur collectif nécessite quelques prérequis qui peuvent freiner les résidents dans leurs démarches. Concrètement, l’installation d’un composteur partagé en pied d’immeuble nécessite la mobilisation de plusieurs foyers volontaires au sein de l’immeuble. A cela s’ajoute l’identification de plusieurs référents pour en assurer le suivi, autant durant la phase d’installation que d’utilisation. Sur le papier, les démarches semblent simples et très concrètes. Toutefois, ces prérequis sont confrontés à une problématique comportementale : le manque d’engagement de la part des Français. En effet, bien que le terme d’engagement soit perçu de façon positive par la population, celui-ci prend davantage sens sur le plan personnel que collectif. En partenariat avec la fondation Jean-Jaurès, l’observatoire de la politique nationale BVA a publié en 2021 une enquête sur l’engagement des Français. Il en ressort que les Français ont davantage de facilités à signer une pétition qu’à s’engager concrètement dans une action de groupe organisé tel une association. En effet, selon l’étude, seulement un tiers des Français sont membres d’une association. Manque de temps ou de convictions, le suivi du compostage en zone résidentielle urbaine est compliqué, et ce malgré la mise à disposition gratuite du bac à compost.  

Exemple d’un bac à compost chez un particulier. Crédit : Shutterstock/ JuirateBuivienne

Angers Loire Métropole recense 130 résidences munies de composteurs partagés. Outre son importance environnementale, le composteur est aussi une démarche sociale : « Ces composteurs participent à la vie de notre résidence et renforcent les liens entre voisins de paliers. Ils nous arrivent de nous croiser en venant porter nos déchets, donnant souvent lieu à de courtes discussions. Ça peut paraître banal mais cela permet de mieux connaître les personnes qui vivent à proximité immédiate de chez vous ! » s’exclame un habitant de la résidence Carl Linne qui a inaugurée son compost partagé le 25 janvier dernier.  

Achetés en magasins ou auprès de producteurs sur les marchés, les stocks sont toujours importants. À la fin de la journée, les produits abondent encore dans leurs cagettes, lésés par les consommateurs. Pour tirer profit de cette masse alimentaire, des associations se sont données pour but de valoriser ces invendus.  

Entraide et partage, la nouvelle vie des invendus

À travers l’agglomération angevine, divers organismes associatifs se sont donnés pour mission le sauvetage des fruits et légumes invendus. Ces collectifs solidaires sont au cœur du conflit, du combat contre le gaspillage alimentaire. Ils incarnent des témoins de premier ordre lorsque l’on se penche sur la surconsommation. Récolter les denrées lésées par les consommateurs, voilà la première étape de leur quête. Ces fruits et légumes finissent bien souvent par s’agglutiner dans les poubelles municipales, à contrario de l’image que souhaite renvoyer Angers. Conservant sa couronne de ville où il fait bon vivre, Angers est également reconnue comme première « ville verte » de France  ! 

 

Une municipalité en soutien aux associations

La ville angevine est de surcroît particulièrement attentive aux enjeux environnementaux et s’est donnée pour objectif de multiplier les dispositifs de sensibilisation au gaspillage alimentaire. Angers peut d’ailleurs se vanter d’un fort dynamisme associatif pour endiguer le phénomène. Angers Loire Métropole soutient activement les campagnes de distributions alimentaires portées par les associations, dont les actions peuvent être accompagnées par des ateliers éducatifs. Sensibiliser au gaspillage, c’est porter à la connaissance des citoyens de nouvelles pratiques alimentaires, promouvoir de nouveaux concepts, aussi bien chez les adultes que chez les plus jeunes. Dans la continuité de sa politique, le Centre communal d’action sociale d’Angers (CCAS) soutient naturellement ces élans solidaires. Fédérer la population face à l’urgence environnemental, voici un bien noble combat. En lien avec les actions opérées par les associations sur le terrain, le CCAS s’est donné pour but d’informer et d’orienter les Angevins vers les lieux de distributions. Les agents font ainsi la promotion d’une politique de solidarité entre Angevins. On décompte en 2023 près d’une trentaine de points de distributions d’aides alimentaires au sein de la ville, tous gérés par les associations. Parmi elles, certaines ont choisi de faire d’un domaine leur spécialité allant du bio aux missions éducatives, voire pour certaines vers un public spécifique. 

« Le végétal, le bénévolat ou la recherche de liens, c’est ce qui nous rassemblent. » Parole d’une bénévole de Solidarifood

Un logo fièrement affiché, des tee-shirts associatifs pour les distinguer, impossible de manquer les bénévoles dans la rue comme sur un point de distribution. Sur le branle-bas de combat, chacun s’affaire à sa mission du jour. Ainsi, les invendus des grandes surfaces et des producteurs sont collectés, stockés, puis acheminés dans les locaux prévus à cet effet par les associations. En croirait faire face à une fourmilière où chaque bénévole apporte sa pierre à l’édifice. Par principe, conviction et engagement, chaque individu met son temps personnel au service de la collectivité : « Le maître-mot, c’est la solidarité. Bien sûre, c’est aussi la convivialité et l’entraide ! » s’exclame Sandra, responsable d’une équipe de bénévoles pour Solidarifood.  

À Angers, Cop1 Solidarité Étudiante fait figure de leadeuse en matière d’approvisionnements pour les étudiants. Présente sur l’ensemble du territoire français métropolitain, les fruits et légumes sont considérés par Cop1 tels des produits de première nécessité, pour permettre aux étudiants de réaliser des plats sains et consistants à moindre coût. Sensible au gaspillage alimentaire, une antenne s’est ouverte à Angers il y a un an, au regard de la précarité grandissante des étudiants, considérés comme les oubliés de la crise du Covid-19. Désormais, soixante-dix bénévoles se portent volontaires pour distribuer chaque semaine des paniers alimentaires gratuits aux étudiants. Grâce aux dons recueillis auprès des producteurs et des grandes surfaces, ces aides contribuent à remplir le sac d’étudiants à moindre frais :« Les Co’p1 me permettent d’éviter les plats industriels et m’incitent à manger des fruits, ce que je n’achète pas en grandes surfaces » témoigne Lise, actuellement en stage de fin d’études. Et l’initiative de l’association a de quoi plaire. Pour preuve, chaque distribution affiche complet : « Je m’y rends dès que possible, je pense économiser une quinzaine d’euros sur mes courses grâce aux paniers » confie Lisa. Ainsi, près de 150 jeunes jouissent à chaque distribution de ces paniers. Toutefois, le fait que ces distributions soient constamment prises d’assaut met en lumière une réalité accablante : un grand nombre d’étudiants se trouvent dans une situation de précarité financière, ne leur permettant pas de subvenir convenablement à leurs besoins primaires. « La demande a explosé ces derniers temps avec l’inflation des prix en magasin, les consommations se voient donc plus raisonnées » clame Anna Guitter, la présidente de l’antenne angevine. Les paniers sont composés de divers produits, des fruits aux féculents avec bien évidemment une importante quantité de pommes à disposition, ce qui fait le bonheur des bénéficiaires : « Je trouve qu’un fruit est plus simple à transporter et à conserver qu’un produit laitier, lorsque je déjeune en dehors de chez moi » rapporte Charles, étudiant en médecine.  

Pour écouler ces importantes quantités de pommes provenant de producteurs comme de grandes surfaces, l’association a mis en place toute une logistique d’acheminement : « Mon job est de transporter les produits alimentaires au point de rendez-vous, mais j’assure aussi des collectes dans les hypermarchés sans quoi une part de nos dons n’existerait pas » explique Ophélie Morero, en charge de cette mission dans le cadre de son service civique. C’est au volant d’un camion qu’elle loue chaque semaine, qu’elle se rend au lieu où sont entreposés les divers produits. Disposer en cagettes sur de grands présentoirs à la manière d’un buffet, l’association mise sur le libre-service afin d’inciter les étudiants à se servir sans réserve. Les pommes fraîchement sorties de leur lieu de stockage se démarquent des autres produits par leurs couleurs profondes, laissant prédire un agréable moment en bouche.  

Des habitudes de consommation questionnées  

Simple et facile d’accès, le concept repose sur une seule inscription. Quant à l’événement, il se tient le jeudi soir, soit à la maison de quartier « ACA », soit place Imbach au « J, Angers connectée jeunesse ». Lorsque l’on pénètre dans le lieu de la distribution, on plonge directement dans un moment à part, absorbé par l’ambiance festive donnée par les bénévoles de Cop1. Sur fond de musique, les étudiants investissent en nombre l’espace dédié. Ici et là, certains profitent du moment pour échanger avec d’autres étudiants autour d’un café, quand d’autres s’installent dans le canapé pour déguster les pâtisseries données par les boulangeries. Surtout, chacun est là pour partager ses conseils, ses recettes, à ceux qui s’interrogent sur comment cuisiner un brocoli ou un poireau. « Ce sont ces partages de bons plans et d’actions solidaires qui plaisent et qui nous fait connaître » s’exclame la présidente.  

Des dons quotidiens 

À sa manière, le J Angers est lui aussi un lieu engagé envers la lutte contre le gaspillage alimentaire. Au sein de ce lieu dédié aux 15-30 ans, un frigo collectif est mis à disposition avec des produits encore consommables, un concept simple et astucieux. L’idée ? Ceux qui souhaitent déposer des aliments frais, emballés ou secs peuvent y contribuer à cet effet. C’est un dispositif d’entraide, qui permet aux associations d’aide alimentaire, aux commerçants, aux cantines, et aux particuliers, de donner leurs invendus ou surplus. Le but pour les personnes désireuses, c’est d’en bénéficier gratuitement et de façon anonyme. Le dispositif « Partage ton frigo » suit le modèle de l’association « Les Frigos Solidaires », une opération à réseau national qui comptabilise près de 100 réfrigérateurs en France. Avec cette initiative, une aide alimentaire est fournie quotidiennement à plus de deux mille personnes et permet de sauver 280kg de nourriture qui aurait sans doute fini dans une benne ! L’enjeu est de venir se servir gratuitement sans être redevable : « Lorsque j’approche du centre-ville, je passe au J, le frigo est disposé près de l’entrée pour ne pas perdre trop de temps, au-delà, je me sers en fonction de la disponibilité des produits. J’ai alors le sentiment de contribuer à une cause valorisée » confie Jade. Le frigo présente l’avantage de ne demander que peu d’entretien, et lorsqu’il devient « trop plein », l’équipe du J diffuse un post sur les réseaux sociaux. Avis aux friands de produits colorés et riches en vitamines ! 

Fruits, légumes, pains, biscuits et produits non ouverts sont acceptés dans ce frigo. 
 Crédit :  Partage Ton Frigo – Angers
  

La ville a souhaité perpétuer cette idée d’entraide, tout en valorisant les produits de consommation. Au J, un marché « antigaspi » s’installe chaque lundi dans le cadre de l’opération « sauve qui peut ! ». Ce dispositif est né d’un partenariat avec Solidarifood, une association créée en 2015. Sa mission : la lutte contre le gaspillage alimentaire et la précarité alimentaire. L’équipe de bénévoles récupère les fruits et légumes « rejetés » provenant des commerces et hypermarchés des alentours. Quelques critères permettent d’expliquer l’origine de ces dons : la considération d’un produit « moche », l’oubli dans un local, ou la date de péremption arrivée à terme. Le principe reste le même, on trouve principalement des denrées alimentaires dont des pommes de différentes variétés, sans distinction établie. Ces produits jugés imparfaits sont voués à la destruction et profitent à manger sainement. Rien n’est jeté puisque cette démarche participative se poursuit dans le frigo collectif où se trouvent les invendus de la distribution : « Elles sont davantage prisées qu’un autre produit comme le chou-fleur, entre autres par manque d’éducation alimentaire » fait remarquer le président et fondateur Anicet Detample au sujet des pommes.  

Sensibiliser à une cuisine « anti-gaspi » 

Désormais, le fondateur souhaite mettre en œuvre : « une redécouverte du plaisir de manger ». C’est pourquoi les bénévoles proposent des ateliers de cuisine, ainsi que des prestations de restauration avec les produits imparfaits. Durant ces animations, la pomme demeure l’un des aliments le plus utilisé, grâce aux stocks, à sa malléabilité et à son goût. On la retrouve facilement dans les assiettes, notamment dans la plupart des desserts. « Les ateliers peuvent faire naître des compositions végétariennes », des salades, des smoothies composés à la pomme sont des exemples parmi tant d’autres. Ces ateliers de cuisine se déroulent à la Cité des associations, moyennant une participation individuelle de 5 euros.

 

Les participants aux ateliers de cuisine bénéficient d’une grande quantité de pommes.  
Crédit : Solidarifood
 

Les actions Solidarifood se poursuivent aussi le samedi au marché de la place Leclerc. Depuis le mois de juin 2020, les bénévoles collectent et distribuent des fruits et légumes « antigaspi » depuis leur tente installée près des bennes à ordures. Grâce à ce dispositif financé par le Budget Participatif de la ville d’Angers en 2019, près de 30 tonnes de fruits et légumes se sont retrouvés dans les assiettes des citoyens mobilisés contre le gaspillage alimentaire. Présent dès 12 heures, ce dispositif d’accueil et de dons, permet de compléter les emplettes de chacun : « C’est une organisation invisible du public avant chaque marché », explique Sandra, bénévole depuis 3 ans : « Avec le camion, les deux salariés se rendent au Carrefour Grand Maine pour récupérer les produits abîmés du magasin, puis on s’installe avec nos dons en attendant que les producteurs viennent nous confier leurs invendus ». De fait, les acteurs du marché sont invités à confier leurs fruits et légumes, ailleurs que dans les poubelles. Cette « tente de glanage » installée au cœur du marché, devient un point central, un passage pour les curieux. Près d’une soixantaine de personnes s’inscrivent chaque semaine pour bénéficier des dons de la tente « antigaspi ». Sur place, c’est une longue file d’attente qui se dessine à la fin du marché, et qui interpelle les Angevins : « Certains comparent nos distributions aux principes des paniers Too-good To-go, mais avec l’association tout est gratuit », se ravit Sandra.  

Les « invendus » du marché sont triés pour être distribués aux bénéficiaires.  
Crédit : Coralie Drouault / Résonance Angers 

 

« Ce qui m’intéresse avec la tente antigaspi, c’est de trouver chaque samedi des produits différents qui me permettent de les cuisiner ensemble. » Claude, retraitée présente dans la file d’attente. 

Mensuellement, c’est environ 1,5 tonne de produits « antigaspi » qui est collectée puis distribuée, selon les données issues des pesées quotidiennes effectuées en amont de la distribution. Néanmoins, 150kg d’invendus sont en moyenne comptabilisés, un chiffre alarmant mais en constante baisse depuis plusieurs années déjà. Et pour cause, les comportements et habitudes des consommateurs se transforment, signe de la réussite des opérations de sensibilisation. Les Angevins réfléchissent davantage à leurs achats, et à la transformation de leurs produits. Pour certains, cette baisse puisse son explication dans les récents phénomènes ayant secoué le pays : « Je crois que l’impact de la crise économique et la sécheresse ont contribué à ce qu’il y est moins de productions » théorise Jean-Paul, sexagénaire tout juste retraité. Donner une seconde vie aux fruits et légumes est un acte valorisant, et qui requiert l’intérêt d’un plus grand nombre de consommateurs. Ces collectifs solidaires incarnent un modèle bénévole, qui contribuent à leurs échelles à endiguer le phénomène du gaspillage alimentaire. 

Les enjeux écologiques actuels nous engagent à valoriser nos denrées alimentaires, un sujet d’importance qui ne cesse de croître au sein de notre société. De la culture du produit, jusqu’à sa consommation, le gaspillage alimentaire intervient sur chaque étape de la chaîne alimentaire. Les différents acteurs de ce processus œuvrent pour des solutions concrètes à leurs échelles. Toutefois les actions pour lutter contre le gaspillage alimentaire doivent être accentuées afin d’endiguer de manière toujours plus efficace ce fléau qui persiste aujourd’hui au sein de nos habitudes de consommation. Certes, les Français mangent davantage de fruits et de légumes qu’avant, seulement ce sont pour la plupart des produits transformés (des compotes ou des soupes) contenant moins de fibres qu’une vraie pomme, ce que déplore les nutritionnistes. 

Désormais, l’engagement des professionnels, des associations et des institutions est de répondre à ces objectifs : offrir une alimentation diversifiée aux personnes souffrant d’insécurité alimentaire, endiguer le gaspillage en valorisant les invendus, freiner les surproductions de denrées consommables. 

Article co-écrit par : Coralie Drouault, Luigi François, Margot Dujardin, Mayeul De Roux – Promotion 2023