Le Garry’s Bar à Angers, l’occasion de transgresser les règles le temps d’une soirée

Ouvert depuis octobre dernier, ce bar dit clandestin propose une expérience à part entière et vous ouvre ses portes pour en découvrir les méandres.

C’est un endroit précautionneusement dissimulé et tamisé par tout un tas de lumière laissant apercevoir de vieux livres ou des objets dont l’usage n’est plus que décoratif. Pour y entrer, il faut un code, mais également trouver la porte cachée. Calqué à la mode des années vingt, le retour en arrière est immédiat. Géré par trois frères, le Garry’s Bar est une capsule temporelle, une expérience qui nous plonge dans une atmosphère vintage. « L’idée c’est reproduire un speakeasy comme aux Etats-Unis à l’époque de la prohibition, c’est-à-dire des bars qui étaient cachés dans des arrière-boutiques ou dans des caves, les gens se cachaient pour boire », explique François Garreau, l’un des gérants de l’établissement. Rythmé par une cohorte d’événements plus innovants les uns que les autres, chaque soir, pléthore d’artistes font leur entrée en scène sur la petite estrade qui surplombe les tables. Un piano, un micro, chaque détail correspond à l’idée qu’on peut se faire de cette période. Trouver des intervenants en lien avec l’esprit du bar n’est pourtant pas chose facile, « on essaie de trouver des événements en rapport avec les années vingt puisque c’est l’idée du bar, on veut que les clients plongent dans cette époque ».

Entre un magicien, un cireur de chaussures, un tatoueur ou encore des troupes de théâtre, la singularité et le talent de chacun apportent un élément ajoutant aux constituants de l’atmosphère. Les clients ajoutent eux aussi leur touche, certains viennent en habits d’époque, François Garreau explique : « on conseille aux gens de le faire, parce que c’est intéressant, c’est une expérience autant la vivre à fond ».

Au-delà d’un bar conceptuel, le Garry’s Bar se veut également être un lieu qui vise à rassembler une certaine clientèle. En effet, on parle d’Angers comme d’une ville très étudiante, les gérants ont ainsi voulu créer un établissement qui corresponde davantage aux envies d’une cible plus âgée. Ils évoquent « une clientèle adulte, des gens à peu près accomplis, l’idée initiale était d’ouvrir un établissement pour les trente ans et plus ».  Le pari semble réussi car c’est bien la clientèle qu’ils ont obtenu, même si de temps en temps certains étudiants parviennent à se fondre dans la masse. François Garreau explique « c’est réellement vivre une expérience, et pas aller dans un bar pour boire. Des étudiants on en a quand même, ils viennent par curiosité, mais on en a qui viennent très régulièrement quand même parce qu’ils aiment l’endroit ».

Pourquoi on pense que ça plaît autant?

Il s’agit d’un bar, rien de plus ordinaire, seulement il plaît réellement. Plusieurs de ses caractéristiques semblent être les vecteurs d’un succès indéniable. Alors l’atmosphère en est sûrement la première, il est vrai que nous y sommes plongés dès les premières secondes. Une lumière tamisée, des costumes et accessoires d’époque, la musique, la décoration, tout est mis en œuvre pour intégrer un retour en arrière plus que réussi. Ils proposent également un catalogue d’animations curieuses qui laissent entrevoir des talents en tous genres. Néanmoins, les clients ne sont pas prévenus de ces animations, personne ne sait à l’avance quel événement spécial se prépare, s’il y en a un.

On pourrait penser que les cocktails qu’ils composent font partie intégrante de la recette de leur réussite, or selon François Garreau il n’en est rien, “dans un bar l’ambiance va faire partie d’au moins cinquante pour cent de sa qualité, pas pour tout le monde mais de manière générale, et les boissons prennent moins de place.” Ces derniers semblent pourtant être le fruit d’un travail acharné de la part des barmans qui régulièrement innovent pour faire changer la carte. 

La tranche d’âge précise que l’établissement a pour habitude d’accueillir semble s’apparenter à l’un des critères pour lesquels se rendre au Garry’s Bar est effectivement spécial et incomparable. C’est une première pour la ville d’Angers, or le concept du bar clandestin a non sans difficultés été développé et ce depuis quelques années dans la plupart des grandes villes françaises, sans compter ses prédécesseurs outre atlantiques. 

Mais ce qui semble fasciner les clients, c’est en fait l’idée de transgresser les règles ne serait-ce que lors d’un rendez-vous. Si pendant les années folles, la prohibition interdisait de boire de l’alcool, aujourd’hui c’est l’inverse. Mais dans une société faite de règles, supposons que les gens se plaisent à se mentir à eux-mêmes en se laissant croire qu’ils fréquentent un bar interdit, caché, illégal, alors que tout est en règle. Mais il est justement très intéressant de se pencher sur cet aspect, un semblant d’illicite donnerait-il au Garry’s Bar tout son sens ? Au-delà d’une atmosphère, l’idée est de faire croire à une sorte d’inaccessibilité qui permet à certains clients de se sentir huppé rien que de penser à l’impénétrable bar. Réussir à obtenir le code que tout le monde n’a pas, parvenir à l’adresse que les gérants se donnent plus ou moins du mal à cacher, percer le secret de la porte camouflée. C’est un goût d’avant qui donne l’impression de vivre à une autre époque durant laquelle les interdits et les droits n’étaient pas les mêmes. Braver les lois devient alors un facteur plus que représentatif de l’établissement et avec lequel les dirigeants peuvent se permettre de jouer puisque tout est en effet dans les règles. Désormais, tout se sait, tout est vu et diffusé avant même qu’on puisse s’en rendre compte, alors ils se différencient par leur manière de reproduire ce qui ne se fait plus. C’est évident, cent ans séparent ces deux époques, rien dans la législation ou dans les pratiques ne peut être identique. En effet, les années folles représentent une période nouvelle au sortir de la guerre, la permissivité s’empare de la société, la vie à une saveur différente suite à une période morose qui laisse place à la fête et aux excès. En 2020, les excès sont tout autres, mais goûter à ceux que l’on n’a pas pu vivre est un privilège. Alors pourquoi ce retour en arrière est-il si excitant ? Et pourquoi cette époque en particulier ? Ce qu’on aime s’imaginer ce sont ces années fastes dont le style est propre, on s’essaye à revivre des interdits qui ne sont plus car rien du contexte de l’époque ne s’apparente au nôtre. Il est certain que les années suivant cette époque auraient été moins amusantes à dessiner pour un bar, entre le krach boursier ou encore la Grande Dépression, on saisit rapidement le choix des frères Garreau pour une époque plus gaie et inconsciente. C’est l’inconscience que l’on y trouve en effet, la démesure et le goût des belles choses. Ainsi au-delà de la vague des Peaky Blinders, on comprend que ce qui plaît c’est ce qui n’est plus, l’insouciance dont on faisait preuve et le côté avant-gardiste ainsi qu’une une révolution culturelle et sociale qu’on admire encore aujourd’hui.

Un bar tout sauf clandestin

Si dans son apparence, le Garry’s Bar se rapproche d’un speakeasy, il n’en est pas moins qu’un bar, sans clandestinité aucune. Les gens le savent, mais c’est pourtant ce semblant d’interdit qui affriande les foules, une dose d’adrénaline montée de toute pièce, mais cela fonctionne parfaitement. Croire à une once d’illégalité serait d’une naïveté profonde, mais ce n’est pas le cas, jouer un jeu collectivement et se fondre dans l’esprit des années folles, c’est donc tout l’intérêt.

En effet, il semble compromis de monter un bar qui soit réellement clandestin en 2020, tout en parvenant à certains objectifs réalistes et propres à ceux d’un tel établissement. On parle ici de la vente et l’approvisionnement d’alcool, la collaboration avec des prestataires ou encore la fidélisation et le renouvellement de sa clientèle. Le travail ici est marketing, il faut être suffisamment compétent pour parvenir à plonger son public dans un univers auquel il se forcerait lui-même à croire. Mais il faut aussi savoir mesurer la prolifération du phénomène, en d’autres termes savoir en parler et faire en sorte qu’on en parle, tout en en limitant la publicité pour rester en coordination avec le concept initial, celui d’un bar clandestin. Alors, lorsque François Garreau évoque cet aspect communicationnel, la présence de touristes par exemple, ses explications sont brèves : “Les touristes eux sont au courant soit par des amis du coin, soit par leurs hôtels je pense”. Il semble évident que ce dernier ne puisse pas dévoiler leur stratégie de communication s’ils en ont une. En effet, comment des touristes australiens ou canadiens pourraient connaître l’existence du Garry’s Bar si ce n’est pas leurs hôtels alors que certains angevins n’en ont même pas entendu parler ? Il paraît donc judicieux pour les gérants de collaborer avec les hôtels d’Angers, leur donner le code d’entrée et l’adresse, et ainsi communiquer de cette manière. Mais l’expliquer serait en revanche aller à l’inverse de toute cette stratégie, car c’est tout l’intérêt du bar, en parler avec tous les hôtels et l’assumer n’aurait plus aucun effet quant à la supposée clandestinité ou discrétion de l’établissement.

Ainsi le Garry’s Bar est un concept, une expérience, une atmosphère, mais ne semble pas friser le bar clandestin. Ce qui est apprécié c’est le semblant de frissons dans lesquels on est plongé, l’expérience d’un soir qui nous emporte ailleurs quelques heures. L’opportunité de découvrir les années folles par une fiction des plus immersives qui invite à faire un saut dans le temps.