Par : Juliette Kohaut | 8 Avr 2020 | Alternatif | 0 commentaires
A rebours du modèle éducatif dominant du 21ème siècle : individualiste, consumériste et clivant, les crèches parentales prônent la mixité sociale et le bénévolat.
Ce matin Hélène, dépose sa fille à la crèche. Elles sont accueillies par Brigitte et Pascal. Brigitte prend en charge l’enfant qu’elle embrasse affectueusement tandis que Pascal note sur le cahier de transmissions les informations données par la maman : humeur du jour, la composition du petit déjeuner, son état de santé…
Brigitte, diplômée d’un CAP petite enfance, est ce matin accompagnée de Pascal, cadre supérieur âgé de 45 ans et papa du petit Louis également accueilli à la crèche. Aujourd’hui, c’est sa demi-journée hebdomadaire de permanence.
Hélène et Pascal ont choisi cet accueil collectif pour garder leur enfant pendant qu’ils travaillent : la crèche parentale. Ce mode d’accueil est géré par une association de loi 1901. Il fonctionne grâce à des professionnels de la petite enfance ainsi qu’aux parents bénévoles. Dans le cadre de cette association, les parents assurent une demi-journée de permanence par semaine, durant laquelle ils s’occupent de tous les enfants présents. Dans certains cas, ils sont également en charge de l’entretien des locaux et du ravitaillement. En tant que membres de l’association, ils sont également employeurs, trésoriers, présidents d’association, secrétaire…
Un vrai sacerdoce ! Ce mode alternatif de garde collective a vu le jour dans les années 70 et s’est essaimé dans les milieux urbains. Ici dans un pavillon, par-là dans un grand appartement du centre-ville. Ces lieux de vie habilités par les services de conseil départemental à savoir la PMI (protection maternelle infantile), et financés notamment par le CCAS (centre communale d’action sociale) reçoivent environ chacun une douzaine d’enfants de toutes origines sociales.
En quoi ce mode garde alternatif au multi accueil publique ou crèche d’entreprise, répond-il au modèle éducatif du 21èmesiècle ?
Les accueils collectifs traditionnels répondent plus à un phénomène de « sous-traitance », pour certains, lucratif (ex : crèche d’entreprises) qu’à un accompagnement à la parentalité.
A rebours du modèle éducatif dominant du 21ème siècle : individualiste, consumériste et clivant, les crèches parentales prônent la mixité sociale et le bénévolat.
Elles font la promotion des valeurs familiales quelles qu’en soit la composition, la situation sociale, économique… Les parents s’engagent cmme acteur et se mobilisent pour l’ensemble des projets. Ce collectif invite à créer du lien social, de la convivialité afin de tisser un véritable réseau de relations et de solidarité notamment pour les familles à enfant unique.
Ces maisonnées gérées par un groupe de parents forment un creusé, un lieu d’échange sur le sens de l’éducation. Chacun y est libre de débattre sur sa conception de l’éducation, à condition de s’entendre sur le projet pédagogique qui sera mené sur plusieurs mois. Celui-ci peut être par exemple le dévelopement de l’imaginaire avec des jeux ou l’apprentissage d’un nouveau vocabulaire.
Au-delà d’un service rendu sur investissement personnel conséquent, les parents bénévoles se réalisent à travers leur rôle d’entrepreneur. Nous rappelons que l’association de loi 1901 emploie pour chaque maisonnée entre 4 et 5 salariés de la petite enfance.
Pour Catherine Batisse, ancien parent membre et bénévole de crèche parentale, ce mode de garde s’est avéré rassurant. Pour la garde de son premier enfant, la jeune maman ne souhaitait pas confier sa fille à une crèche « classique » qu’elle trouvait trop rigoureuse. « Je ne voulais pas rentrer dans un moule ». La crèche parentale était pour elle un espace de liberté qu’elle apparente à, je cite, « une auberge espagnole », où tout le monde pouvait y apporter quelque chose.
La crèche parentale lui a permis de voir le fonctionnement de l’intérieure et d’être partie prenante de cette expérience. Si la proximité avec son enfant, surtout son premier, est un dénominateur commun à beaucoup de parents membres, d’autres peuvent avoir des motivations différentes.
Catherine se rappelle notamment de la maman du petit Lou, Christina, arrivée du Danemark peu de temps avant. Chez elle, la motivatin principale était le besoin du lien social avec ses nouveaux compatriotes. Elle n’hésitait pas à faire 20km pour y déposer son petit garçon.
Pour Hélène Charbonnier, autre ancienne membre de ce système, la crèche parentale representait pour elle et son mari, parents en apprentissage, « un choix éducatif ». « Après avoir tenté l’expérience d’une garde chez une assistante maternelle, nous avons préféré privilégier, non pas notre organisation mais, le bien-être et l’épanouissement de notre enfant selon nos convictions et notre projet de vie ». Le choix de Hélène et son mari s’est appuyé sur plusieurs objectifs. Ils ont d’abord voulu incarner par leur engagement les principes éducatifs qu’ils voulaient inculquer à leur enfant :
– le partage à travers la vie dans un collectif,
– la tolérance à travers l’acceptation de l’autre différent tant en âge qu’en culture,
– l’envie d’apprendre grâce à la variété des activités,
– le goût grâce à une alimentation adaptée et choisie,
– l’affirmation et l’estime de soi à travers la personnalisation de la prise en charge.
« Au-delà de l’aspect éducatif pour notre enfant, de l’aspect socialisant pour notre famille, d’un point de vue psychologique ce mode de garde nous rassurait puisque nous participions à l’éducation de notre enfant et nous apprenions en même temps à devenir parents, grâce aux professionnelles et aux temps de réflexion favorables à l’analyse des situations éducatives ».
Catherine Batisse
De cette expérience, Catherine Batisse retiendra que la crèche parentale force l’ouverture d’esprit. Durant plusieurs années, elle y côtoie énormément de variantes éducatives et de points de vue diamétralement opposés en terme d’éducation. « J’ai travaillé avec des gens qui élevaient leurs enfants d’une façon totalement différente de la mienne. ». Cette grande diversité, oblige les parents à se questionner sur leurs pratiques.
Pour Hélène Charbonnier, cette expérience s’est révélée répondre à ses objectifs, ses besoins, ses attentes. « Ce microcosme est le reflet de la démocratie ». En effet, si l’on considère qu’éduquer se définit par : donner des repères pour s’élever, alors ce mode de garde a participé à la construction de leur parentalité. Comme Catherine, Hélène s’est enrichie des différentes visions éducatives des autres parents, des professionnelles, pour affirmer leur posture, « nous y avons identifié nos forces et nos fragilités de parents et d’adultes ».
Cette expérience a également été pour Hélène et son mari l’occasion de développer des compétences en étant invités et en choisissant de prendre une place de décideurs, de coordinateurs, de gestionnaires, au-delà de la collaboration et de la contribution. « Pour ma part j’ai été chargée de la gestion du personnel : recrutement, formation, soutien, repositionnement… Mon époux était attaché à la qualité de service, la sécurité, l’organisation ». Leurs engagements associatifs ont donc été l’occasion de mettre au service de ce type de lieu d’accueil des compétences professionnelles et une vision projective et prospective telles qu’ils les vivaient au sein de toute entreprise. De plus, étant auteurs et acteurs du projet éducatif, les membres de la crèche parentale se soucis de l’éthique revendiqué.
L’esprit communautaire a besoin de structuration pour garantir une place à chacun au bénéfice de tous. A ce titre, cette expérinece les a également conduit à des confrontations pour des compromis, les exigences des uns n’étant pas les mêmes que celles des autres. Hèléne Charbonnier cite les exemples suivants : la manière d’entretenir les locaux, de ranger, de cuisiner, de poser des limites aux enfants, de réaliser les travaux de bricolage et de s’impliquer dans les différentes taches.
Ce sont les professionnels de la petite enfance qui ont permis la cohabitation entre ces différents visons. Catherine Batisse raconte : « je me souviens d’un enfant qui n’avait jamais de chaussure seulement des chaussons. Pour moi un enfant doit être correctement chaussé. Un matin lors d’une de mes permanences, il arrive une fois de plus sans chaussure, je le regarde et lui dit : « tu n’as toujours pas de chaussures toi ? ». Paulette une des professionnelles présentes me souligne que je ne dois pas faire ressentir aux enfants ce que je reproche aux parents et que chaque famille est libre de choisir son d’éducation ».
Dans le cadre de cette association, tous les parents doivent mettre de côté leur politique éducative et faire confiance aux professionnels présents. « C’est Brigitte et Paulette qui donnaient le « la ». Grâce à leur diplôme et 15 ans d’expérience, elles étaient habituées à harmoniser l’entente des parents ».
L’exercice de la citoyenté à travers plusiurs thématiques , c’est ce que retiendrons Catherine batisse et Hélène chrabonnier de cette expérience. le plaisir de leur enfant à être accueilli quotidiennement dans ce type de lieu ainsi que la qualité et la bienveillance des professionnelles sont l’une d’entres elles. Le fonctionnement familial qui permet une grande adaptabilité et l’entraide dans l’apprentissage de la parentalité font également parties de ces thématiques. Enfin, la continuité de l’association qui vient légitimer leur engagement.
Quand je demande à Catherine Batisse si cette expérience a changé sa vision du modèle éducatif, c’est un « oui » évidant qu’elle exprime. Elle est arrivée dans cette crèche avec un modèle éducatif très « veille France », et en est ressortie avec des alternatives.
Quant à Hélène Charbonnier, ce mode de garde a conforté et enrichit sa vision, son souci de sécuriser l’éducation de son enfant, d’éduquer au sens d’élever, tant au niveau maternel qu’au niveau de la hauteur d’esprit, de la conviction et des valeurs.
Concernant les bienfaits de cette expérience sur leur enfant, les mamans expliquent qu’il est difficile de les mesurer compte tenu de l’âge de l’enfant à cette période.
Catherine Batisse confie cependant qu’elle réitèrerait ce choix car elle a aimé s’invertir dans cette association : « On met les enfants dans une crèche parentale aussi bien pour eux que pour nous. J’ai cherché de la proximité et de la sécurité. »
C’est un modèle minoritaire mais qui répond à plusieurs niveaux de besoin de la pyramide de Maslow. Au-delà des deux premiers étages, à savoir, les besoins physiologiques, la crèche parentale comblent les besoins d’appartenance, d’estime et de réalisation de soi.
Aucune étude n’a encore été menée pour mesurer l’impact de ce mode de garde sur la vision éducative de ses bénéficiaires. En revanche, imprégné de l’histoire « racontée » les enfnts de Catherine Batisse et Hélène Charbonnier, futur parents envisagent très sérieusement la solution crèche parentale.