A une foulée près

Au football, ou dans le sport en général, les athlètes connaissent des suites de carrière heureuses. Ils ont l’opportunité de rester acteurs dans leur sport ou encore de devenir égéries pour des marques. Zidane, pour ne citer que lui, reste emblématique, encore aujourd’hui, sur le terrain comme en dehors, et poursuit sa carrière en tant qu’entraineur. Un sportif qui a su se réinventer.

Ce schéma est-il valable dans le monde hippique ? La question mérite d’être posée, car elle n’engage pas seulement l’homme : la victoire des jockeys se partage avec leurs fidèles destriers. Dans ce secteur qui allie paris sportifs, compétition et équitation, d’autres champions se révèlent dans l’ombre : les chevaux. 

Les Pays de la Loire comptent près de 45 hippodromes, contre seulement 12 dans l’Est. Une donnée marquante derrière laquelle on imagine le nombre de sabots qui en ont foulé les pistes et les fouleront encore. Mais une fois la ligne d’arrivée franchie, que deviennent les chevaux de courses ? Quelles solutions existent et comment sont-elles vouées à perdurer ?

Des courses de saut, en passant par celles de trot ou de galop, les équidés sont de réels acteurs attirant tous les regards sur les champs de courses. À la sortie des pistes, on se soucie peu de leur avenir. 

Environ 19 000 chevaux de courses naissent chaque année. Seulement 40% d’entre eux verront les hippodromes, et uniquement 5 à 8% entreprendront une réelle carrière. Par conséquence, 60% des chevaux qui étaient assignés à un destin hippique, au départ, se retrouvent sujets à une reconversion d’office. L’espérance de vie d’un cheval se situe autour de vingt-cinq ans. En France, les trotteurs peuvent courir jusqu’à dix ans et les galopeurs arrêtent fréquemment à quatre ou cinq ans. Pour leur reconversion, certains sont envoyés à l’étranger, où les limites d’âges sont différentes : à Malte ou aux Baléares, notamment, il n’en existe pas pour les trotteurs. 

Cependant, pour les galopeurs c’est plus complexe. Certains grands cracks sont promis à de la reproduction. Les juments deviennent alors des poulinières, les mâles des étalons. Chaque entraîneur apprécie avoir son crack, sa graine de champion, dans l’espoir de produire une descendance prometteuse. Malheureusement, certains peuvent connaître des fins plus ou moins tragiques : c’est le cas des hongres, c’est-à-dire les mâles non reproducteurs, mais aussi, de ceux qui n’ont pas gagné suffisamment de prix, de ceux qui n’ont pas commencé les entraînements en raison de leurs résultats au chronomètre, ou bien encore, de ceux qui se sont blessés ou qui sont trop âgés. Eric Touron, conseiller régional des Pays de la Loire, représentant de la filière équine, se confie : “Il devrait y avoir une obligation pour le propriétaire d’assurer la reconversion de son cheval. On pourrait, par des mesures fiscales, les inciter à les garder. Il faudrait imposer, à un niveau de gain, une assurance pour une retraite convenable : cela me paraît être une bonne solution”.

Selon lui, pour suivre le mouvement, et gagner en crédibilité, les instances et les politiques devraient s’accorder ; il évoque un compromis entre la reconversion des chevaux et une politique agricole commune :

Aujourd’hui, la région n’agit pas dans ce sens. C’est au niveau de son environnement que l’on peut sauver quelques chevaux. Dans la prochaine politique agricole commune, des mesures agro-environnementales au niveau des prairies seront mises en place, tout comme une réglementation sur la taille des boxes, par exemple. De nouvelles normes qui permettraient d’améliorer les conditions de vie des chevaux. ”

Il insiste sur la volonté des socioprofessionnels à trouver une solution avec ce qui était auparavant leur outil de travail. Les agriculteurs peuvent être des éleveurs mais tous les éleveurs ne sont pas agriculteurs : ceux-ci ne représentent que 20%.  Or, la politique agricole commune s’applique exclusivement aux agriculteurs. C’est un premier pas vers une amélioration des conditions d’accueil pour ces chevaux, mais cela ne concerne pas tous les acteurs des courses hippiques. Il reste encore du chemin à parcourir… Éric Touron soulève une nouvelle problématique, “il faut être réaliste : compte tenu du nombre de naissances, on ne pourra pas sauver tous les chevaux. En sauver le plus grand nombre, serait l’objectif. Mais, est-ce qu’il y aura assez de structures pour accueillir tous ces chevaux ? “

Pour répondre à ce besoin, des associations spécialistes dans la reconversion des chevaux de courses voient le jour. Il en existe plusieurs, à l’échelle régionale et nationale. Créée en 2016, l’association Au-Delà des Pistes, a pour objectif de sensibiliser le grand public et les acteurs de la filière hippique, ainsi que de faciliter la gestion des chevaux réformés. Elle développe son réseau de structures d’accueil afin de placer des chevaux en fin de carrière. Pour cela, elle a créé un label, gage de qualité et de savoir-faire dans la remise au travail de ces athlètes. Parallèlement, elle organise des évènements permettant d’attirer l’attention et promouvoir le cheval réformé, particulièrement lors des salons. Grâce à ces actions, les professionnels des courses font de plus en plus appel à l’association. L’état d’esprit des cavaliers change. 

Spécialiste dans la reconversion des galopeurs, Sébastien Criado, propriétaire des Écuries Wallace à Pau, labellisées par Au-Delà des Pistes, parle d’un monde en perpétuelle évolution. “Notre but est de tester mentalement ou physiquement, les chevaux de courses qui arrivent chez nous, de voir comment ils réagissent et ce qu’ils sont capables de faire. En fonction de cela, nous orientons les particuliers vers leur partenaire idéal.” Au sein de cette structure, les chevaux restent généralement deux à trois mois pour débuter leur reconversion et s’adapter à leur nouvelle vie. La race principale des chevaux de courses est le pur sang. Le propriétaire témoigne : “L’avantage du pur sang est son extrême polyvalence. Il est malléable, il s’adapte à des activités variées : du sport, du complet, du dressage, du saut, mais il peut aussi faire uniquement de la balade occasionnelle, même du spectacle, du horse ball, du polo, vous pourriez être étonnés !“

Néanmoins, ils ne sont pas les seuls dans cette voie. Les écuries Seconde Chance de Combrée, sont pionniers de la reconversion. Amélie et Sylvain Martin, les propriétaires, sont à l’initiative de ce phénomène qui prend de l’ampleur depuis 2009. Ancien jockey et entraîneur amateur, il s’associe à sa femme, grande passionnée de chevaux mais aussi fille d’éleveur de pur-sang anglais, pour proposer des solutions : offrir une ‘seconde chance’. Ils s’occupent également des chevaux qui ne présentent pas, ou plus, les caractéristiques pour courir, par le biais de services comme ‘sauver un cheval’. Ils les remettent sur leurs sabots, que ce soit physiquement suite à une blessure, ou sportivement en les faisant passer par un système de travail d’équitation dite ‘classique’. Aujourd’hui, les écuries permettent, annuellement, à environ 350 chevaux de trouver une nouvelle famille et de nouvelles perspectives d’avenir. Ainsi, galopeurs, sauteurs, trotteurs, tous y trouvent leur compte et se spécialiseront dans les diverses disciplines que propose ce sport. A l’image de Tootsie Roll, certains anciens pensionnaires sont devenus champion de France et même d’Europe. Des solutions existent donc. A présent, l’enjeu est d’attirer l’attention sur les différentes solutions auprès des acteurs du secteur équestre. Comme insiste Sébastien Criado : “de plus en plus de ponts existent entre les deux mondes”. Un destin pensé hippique devient épique. Tous les chevaux ont le droit à une seconde vie. Troquer son sulky pour des guêtres de cross ou son tapis de course pour une selle western, est maintenant possible. Ce changement s’ancre dans les moeurs. Ces solipèdes qui ont fait frissonner parieurs, jockeys et entraîneurs peuvent galoper vers de nouveaux horizons.